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Mes nouvelles: Bienvenue

JOURNAL DE BORD D'UNE MARCHANDE FATIGUÉE

28 janvier 2019

Chaque soir commence ma nuit. Mon rituel est bien huilé. Tout d’abord, je quitte progressivement les profondeurs de l’océan mon sac de sable à la main et l’envie de faire ma tournée au fond de moi.


Je ne suis pas une factrice bien que mon activité s’en rapproche. Plutôt que de répandre des nouvelles je distribue des rêves. Et ce n’est pas vraiment un métier mais plutôt une vocation.

Quelle joie m’emplit lorsqu' après avoir posé quelques grains de sable sur le visage de ces humains, ceux-ci se détendent progressivement.


Ma créativité est sans limite. Pour ce jeune homme fort, je lui donne la satisfaction de sauver son village en attaquant à lui seul un gigantesque mammouth. A sa femme, j’offre un paisible moment avec ses feus parents autour d’un feu paisible et contrôlé.


C’est assez fou de voir que chez ces humains ce ne sont pas les hommes qui gardent la maison mais bien les femmes. C’est assez moderne pour moi.


Je me déplace rapidement et personne ne m’aperçoit. Chacun à leur tour mes sujets tombent dans les bras de Morphée.


Une fois ma livraison effectuée, je prends de la hauteur et regarde l’étendue des terres qu’ils vont pouvoir conquérir et dans lesquelles ils pourront s’épanouir. Ensuite je me fais belle et enfin je replonge dans l’océan rejoindre à mon tour mon mari. Morphée m’attend déjà et me regarde arriver avec son regard doux qui m’inspire tellement de rêves.


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Les nuits s’écoulent lentement et simplement et je me réinvente sans cesse grâce à l’amour que je porte à mon cher et tendre qui se modifie et se renforce à chaque instant.


Cependant, les nuits s’allongent et les jours reposants semblent chaque fois un peu plus courts. Il y a de plus en plus de rêves à donner car il y a de plus en plus d’humains. J’ai donc moins de temps pour en imaginer d’autres. Il m’arrive parfois, je dois l’avouer, de soumettre le même rêve à deux personnes. Cela n’a pas de réelles conséquences mais il ne faudrait pas que j’en abuse.


Heureusement que je peux compter sur mon imagination hors-norme. Ce jeune enfant qui fait partie des premiers à avoir quitter le premier continent qu’ils appellent l’Afrique rêvera ce soir de conquête. Il s’en ira toujours plus loin pour trouver de nouvelles cascades et de nouveaux horizons.

Je n’oublie pas de faire un léger survol de cette terre même si le temps m’est compté pour rejoindre Morphée. Heureusement il est parfait et me rend si heureuse. Un homme sait décidément faire plusieurs choses à la fois. S’occuper de tous ces humains ne l’empêche pas de me chérir.


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Je me dépêche de remonter à la surface. Je fais le tour de tous ces merveilleux humains et je remercie mon sac de ne jamais s’épuiser. Toutefois je remarque qu’au plus je l’utilise, au plus la qualité se détériore et il ne se répand plus correctement. Certains rêves se mélangent aux cauchemars.


Pour la première fois depuis aussi loin que je m’en souvienne, je me suis retrouvée face à un vieux monsieur sans avoir aucune idée de quoi il pourrait encore rêver à son âge. Cela n’a duré qu’une fraction de seconde mais ça lui a suffi pour me voir. Il s’est endormi ensuite facilement et a rêvé de moi.


C’était le premier humain à entendre parler de moi et je reçus alors un nom. Il me voyait comme un marchand de sable. J’en fus offusquée. Comment pouvait-il me considérer comme un marchand, moi qui donnais inconditionnellement mon sable et mon temps sans rien marchander en retour. Et pis, dans cette société patriarcale, il m’a prise pour un homme. Moi qui aimais tant prendre soin de moi lorsque j’avais du temps pour moi.


Il était tard et je dus rentrer immédiatement chez moi sans pouvoir prendre le temps d’observer mon travail.


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Cette nuit j’ai appliqué l’idée que j’avais eue précédemment. Bien que mon imagination ne me fasse pas défaut je n’ai pas le temps de créer chaque nuit de nouveaux rêves. Mais il me suffit d’adapter ceux que j’ai déjà imaginés.


Ce valeureux garçon d’un millier de lunes rêvera qu’il sauve son village en attaquant à lui seul, et simplement muni d’une épée, le dragon qui planait aux alentours. Comme ce fut simple de remplacer le mammouth par une autre menace.


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Ça y est, cela devait arriver. Je n’ai désormais plus le temps de retrouver mon doux époux. Je suis condamnée à ne plus jamais revoir mon Morphée.


De plus, mon sable qui était si pur et si clair se noircit à vue d’œil. Il y a trop d’humains sur cette terre pour que je puisse remplir ce job, que dis-je, ce fardeau. Elle est loin l’époque où j’étais persuadée que c’était une vocation.


Il y a quelque peu, j’ai eu une très mauvaise idée. Voyant que les hommes qui cauchemardaient se faisaient de plus en plus de mal, j’ai voulu agir. Il faut dire que plus j’ai sommeil et plus je déprime, plus mon sable est de mauvaise qualité. Si j’ai agi c’est pour cela. Je dois bien avouer que c’est aussi pour pouvoir revoir Morphée ne serait-ce qu’un instant. Comment tous ces gens qui le connaissent si peu peuvent l’embrasser et pas moi ?


Qu’ai-je fait ? Eh bien, j’ai voulu appliquer mon sable sur mon propre visage mais cela n’a eu aucun effet.


Pire, mon sable ne fait plus effet sur tout le monde. Il semblerait que ceux qui regardent des écrans n’y seraient plus sensibles.


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Récemment, quelqu’un est apparu. Au début, j’ai cru qu’il était là pour m’aider. Il faisait plus ou moins la même chose que moi. Quand j’ai endormi les plus jeunes, il se glisse dans leur maison pour leur offrir des cadeaux.


Personnellement, je trouve que des biens matériaux ne valent pas la magie des rêves mais ce n’est pas leur avis. Le pompon c’est qu’il ne le fait qu’une seule fois par an et que tout le monde en parle trois mois avant jusqu’à trois mois après. Et moi et mon dur labeur on passe inaperçu.

Ils l’appellent Père Noël. Ça c’est un nom qui claque. Ça ne marchande rien un père Noël.

L’insomnie se fait toujours plus forte et régulière et je maudis le ciel que ces appareils se multiplient. Le gros bonhomme rouge n’arrange rien avec ses livraisons électroniques.

La violence entre les hommes ne s’arrange pas non plus et je ne fais que distribuer du charbon effrité.


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Ce soir un miracle s’est passé, c’était au cœur de l’Afrique, dans le berceau des premiers hommes. Une petite fille qui venait de naître s'était endormie et je n’étais pas arrivée à temps pour lui donner son premier rêve comme sa mère lui avait donné le premier sein.


Cette fille du nom de Lucie avait créé son propre rêve. Je pris un instant pour le regarder. Elle rêvait que chaque garçon et chaque fille rêverait par eux-mêmes et qu’ils agiraient pour essayer qu’ils se réalisent.


J’ai compris à cet instant que je reverrais peut-être un jour Morphée. Ce ne serait pas demain, ni dans un an, ni dans un siècle mais je comprenais maintenant exactement ce qu’était l’espoir.

Je sais à présent que je ferai ma vocation dans la peine mais aussi dans la joie pour qu’un jour les humains n’aient plus du tout besoin d’entité supérieure et que je puisse me reposer.

Mes nouvelles: Bienvenue
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