Avant toute chose, j’aimerais préciser que cette chronique fait suite à celle de la semaine précédente qui traitait du livre « Le chien de Baskerville » de Conan Doyle. La chronique de cette semaine parle de la réécriture de Pierre Bayard qui s’appelle « L’affaire du chien des Baskerville » paru aux Editions de Minuit en 2010. Comme il s’agit d’un ouvrage plus scientifique dans sa manière de procéder, la chronique qui s’en découle est un peu plus complexe mais j’ai tâché de la rendre la plus compréhensible possible.
Le livre s’articule en quatre parties. Dans la première, Pierre Bayard résume l’enquête pour remettre le lecteur à niveau et en profite pour faire une analyse de la méthode Holmes. Celle-ci se décrit en trois temps. Tout d’abord Holmes observe en détail un sujet. Grace à sa connaissance extérieure il repère des indices que d’autres n’auraient pas pu apercevoir. Ensuite, il compare. Il regroupe et analyse les indices de même nature pour en tirer une explication claire et juste. Enfin, il effectue un raisonnement analytique. Ce raisonnement est l’inverse du raisonnement synthétique. Il s’agit de déduire les prémices d’une situation en fonction du résultat de celle-ci. Par exemple quand, après avoir bu son café, on voit un homme mort dans son bain avec un sèche-cheveux dans les mains, on utilise le raisonnement analytique pour comprendre qu’il s’est électrocuté avec celui-ci.
Bayard profite de cette partie pour montrer les différentes erreurs que Sherlock Holmes a commises dans ses anciennes enquêtes. Il veut prouver en faisant cela que le détective peut se tromper et que, par conséquent, la résolution de cette enquête peut avoir été erronée également.
Dans un second temps, l’auteur mène une contre-enquête basée exclusivement sur ce qui est dit dans le texte. Il prouve ainsi que Stapleton ne peut avoir commis le crime pour différentes raisons et que le chien a été injustement puni par Holmes car il est tout aussi innocent que son maître. Je ne m’attarde pas sur le sujet car bien que les différentes preuves qu’il apporte sont le nerf de la guerre de son roman je ne vois pas l’utilité de les retranscrire dans cette chronique.
Ensuite, dans la troisième partie il aborde un sujet qui m’a grandement intéressé. L’auteur de cet ouvrage critique nous parle de l’existence des êtres de fiction, de leur capacité à exister indépendamment de nous. Ce passage est plus technique mais fortement intéressant. Bayard nous présente le continuum de Pavel ayant pour extrémité les ségrégationnistes et les intégrationnistes. Les premiers considèrent le contenu des textes de fiction comme pur produit de l’imagination sans aucune valeur de vérité. Cela signifie qu’un personnage n’est qu’un être de papier et qu’il n’a aucune résonnance dans l’univers réel. On a tendance à être d’accord avec cette théorie mais la seconde approche peut nous faire changer d’avis. Les intégrationnistes acceptent qu’il n’y ait pas de véritable différence ontologique entre la fiction et les descriptions non fictives de l’univers. Ceux-ci pensent donc que le personnage a une vie propre et que l’auteur n’a pas entièrement la mainmise sur sa créature. Quand vous pensez : « Qu’aurait-fait Rambo à ma place ? » après que votre belle-mère vous a dit une méchanceté, vous avez une approche intégrationniste.
Bayard penche évidemment vers la seconde option. Une réécriture qui se veut canon n’aurait pas d’intérêt si on ne considère pas cette théorie juste. Le cas d’école pour prouver cette théorie est justement le cas de Holmes. Dans « Dernier problème », Conan Doyle avait tué son héros pour pouvoir se consacrer à d’autres choses qui le passionnaient davantage. Cependant certains lecteurs étaient si proches de ce détective qu’ils furent en deuil et complètement révoltés. Conan Doyle sous la pression de son public dut le faire réapparaitre dans « Le chien des Baskerville ». Bayard nous montre plusieurs exemples dans lesquels l’auteur a perdu son emprise sur son invention. Il parle du fait qu’un être de fiction nous empêche de vivre et appelle cela le complexe de Holmes. Voilà pourquoi je m’étonnais de la quasi-absence de Holmes dans ma chronique précédente. Holmes était plus ou moins devenu la chanson de l’été se répétant sans cesse dans la tête de Conan Doyle l’empêchant de se concentrer.
Dans la quatrième et dernière partie du livre dénommée « Réalité », on apprend enfin qui est le véritable meurtrier ainsi que son mode opératoire. Il le décrit en s’appuyant toujours sur des extraits du livre. Bien que cette approche semble farfelue, son explication supprime les incohérences et convient bien mieux sur plusieurs plans. Il le décrit comme un meurtre par littérature car il berne l’enquêteur, l’auteur et le lecteur. En somme, c’est un crime parfait. Vous dévoiler qui est cette personne n’aurait pas grand sens car l’impact ne serait pas intéressant puisque vous n’avez pas tous les éléments de l’enquête en tête. Si vous voulez le savoir, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Voici à présent mon avis sur le livre « L’affaire du chien des Baskerville » de Bayard. J’ai simplement adoré. Je m’attendais à voir un second point de vue sur le livre d’Arthur Conan Doyle mais cet ouvrage offre bien plus que cela. Il est une source d’enseignement divers et varié qui sert son propos. Je n’ai bien sûr pas pu faire une liste exhaustive de tout le contenu du livre et je n’aurais pas pu le faire avec une dizaine de chroniques de plus. Je ne peux que vous conseiller de vous le procurer pour vous faire vous-même votre idée. Je remercie également ce livre pour m’avoir peut-être fait faire la passerelle entre la fiction et l’essai. Il est intéressant de noter deux petites choses supplémentaires. La première est que Bayard nomme au début de son ouvrage le livre source de son travail comme un chef-d’œuvre pour arriver progressivement à dire que Doyle est un écrivain asservi par son personnage. La deuxième est que Pierre Bayard ne nomme le réel coupable qu’à la fin comme s’il voulait absolument que le lecteur lise tout ce qu’il avait à dire avant la révélation.
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